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  Accueil > Florilège > 2014  

À mon ami - Aliscan

Souvenirs en délire - Djamila Amgoud

Un soir (seul) - Gabriel Arnaud

Cet amour- là ! - Edith Aurengo

Petit bonheur - Philippe Barbeau

L'éphémère se tait - Régine Beauvais

Le bleu dans ma bouche - Stéphane Bernard

Le Champ des Possibles - Bleudasi

La Bièvre - Marie Bouquet

Dans la nuit à venir - Christophe Bregaint

Sète - Ludovic Chaptal

Temps morts - Marie-Josée Christien

Je vais t'écrire un beau poème - Jean Jacques Dorio

Courte échelle - Fabrice Farre

Une rue de Paris - Xavier Frandon

sans titre - Gabriel Henry

ce qui dit - Rodrigue Lavallé

Pas compliqué - Marcel Moratal

seuil du sans - Vincent Motard-Avargues

Rebellion - Choupie Moysan

Haiku - Nemo

Saisons d’autrefois - Mireille Podchlebnik

autour du cœur - Thierry Radière

Tanka - Laurent Robert

À ma mère - Jacques Rolland

Soleil - Anick Roschi

Veux pas - Aliénor Samuel-Hervé

quand la montagne - Stella Vinitchi Radulescu

 

Rebellion

La vaisselle faite, elle repose sur le séchoir en bois, comme tous les jours d’été,
vers quatorze heures, c’est le moment de la - marienne - du grand père, chut !,
ne pas faire de bruit lorsqu’il se repose. Certains adultes rentrent en
eux- mêmes derrière les volets. Les jeunes enfants se doivent de respecter
cette trêve. Nous sommes trois : deux filles assises sur un banc à l’ombre sous
leur chapeau de paille à galon rouge et un garçon, notre aîné qui lui est dispensé de
travaux manuels, mais doit lire à - bouche fermée - soit un illustré ou un prix
d’école à couverture rouge. Bref, une lecture validée par l’adulte. Les travaux
d’aiguilles en tous genres nous sont dévolus. Le point de croix est le roi. Il est
souvent employé pour les porte-serviettes - qui ne servent jamais -, et les coins de
torchons. Vous voyez, je vous parle d’un temps qui n’a plus cours, mais je continue
le récit….
Le bruit caractéristique du rotin de la chaise longue où se trouve la surveillante de
- l’ouvroir -, nous renseigne sur l’état de somnolence de la grand-mère. Quoique
d’un âge certain (surtout pour nous), elle est en pleine possession de ses
facultés, auditives comprises. Autant dire qu’il est mal venu de laisser tomber à
terre le crochet ou les aiguilles du tricot qui monte d’ailleurs laborieusement au
point de mousse : ça agace !
La grand-mère, dont les yeux à notre connaissance ne prennent jamais l’eau, a
grincé des dents, lorsque la plus âgée des filles, c’est-à-dire moi, a brodé le mot
ZUT en rouge sur le coton pendant le somme bruyant de l’aïeule.
J’aurais bien mis un autre mot de cinq lettres, mais afficher ma rébellion, c’est déjà
prendre pas mal de risques. Je me suis contentée de trois lettres, ne mesurant pas
les représailles auxquelles je m’exposais ! Quand les deux autres enfants voient ce
mot sur le coton, s’imposant comme manifeste, ils se regardent, et pouffent en
essayant bien de réprimer leurs rires, mais en pure perte. La grand-mère dans sa
"vannerie" se réveille, et constate le sujet de notre hilarité. Elle n’en croit
pas ses yeux !
- Doux Jésus, Marie, dans quel siècle vit-on ? … "Ca ne se passera
pas comme ça…Oui, ça se paiera ! Elle tint parole…

Je m’en souviens comme si c’était hier. Après une morale longue et bien sentie,
je défis au-delà de l’heure de la sieste les lettres brodées en rouge, et fis une croix
sur le goûter et le dessert du dîner. Le lendemain après le repas, les enfants
comme de coutume étaient à l’ombre, la grand-mère me présenta avec emphase
un carré de toile ourlé, sur lequel était écrit au crayon :

Trop de rouge a séché dans les chemins pour que les mots inscrits ou
brodés en rouge soient pris à la légère.

La punition devait être faite au point de croix compté. Cela me prit pas mal de
jours dans un - ouvroir - silencieux, d’autant que la toile était fine et le comptage
des fibres s’avérait délicat.
Pendant tout le reste des vacances cette maxime fut punaisée au-dessus de mon lit :
celui de la rebelle.

© Moysan

     
     
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